Buenos Aires - L'Argentine passait jusqu'ici pour un lieu de transit de la drogue produite dans la cordillère des Andes, mais des laboratoires de production de cocaïne fleurissent depuis peu dans le pays et alarment la société.
"Ca a commencé il y a deux ans, mais cette année, on a intercepté des chargements plus volumineux et plus nombreux. L'Argentine s'est convertie en producteur. Nous avons détecté des laboratoires à divers endroits", avertit le juge fédéral José Luis Villada, basé à Salta, province du nord argentin, frontalière de la Bolivie, 3e producteur mondial de cocaïne, derrière la Colombie et le Pérou.
D'après le magistrat, le fait que les précurseurs chimiques nécessaires à la transformation de la cocaïne soient produits localement rend attractif le territoire argentin.
"Il y a des +cuisines+ (laboratoires, ndlr) partout dans le pays et même à Puerto Madero, à Canitas et San Isidro, dit un ex-policier fédéral en nommant des quartiers huppés de la capitale. Qui va aller les chercher là-bas' La drogue ne fait pas que passer par l'Argentine".
Cette année, une dizaine de laboratoires ont été démantelés.
Un laboratoire, qui tient dans une pièce de 15 mètres carrés, peut produire de 2 à 3 kg par jour. Pour ne pas alerter les voisins avec les émanations odorantes de produits chimiques, ils sont en général installés dans des maisons ou des appartements situés au dernier étage.
La plupart du temps, le "cocinero" qui maîtrise le processus de transformation a été formé en Bolivie.
Si l'élaboration de cocaïne est une tendance récente, le trafic de la cocaïne produite dans les Andes, passant historiquement par l'Argentine, avant de prendre la direction des Etats-Unis et l'Europe, demeure et augmente. Les saisies se multiplient.
Les trafiquants de drogue savent que la surveillance de l'Argentine, grande comme 5 fois la France, de ses 10.000 km de frontières et 5.000 km de côtes est un atout, face à des forces de police souvent corrompues, voire complices.
Dans la province de Cordoba (centre), le chef antidrogue de la police provinciale et quatre agents ont été interpellés pour liens avec des trafiquants de drogue.
"Il y a de multiples manières d'exporter la drogue en toute tranquillité en bateau depuis les ports de Rosario, de Buenos Aires ou de Patagonie, ou en avion comme celui intercepté en Espagne (en 2011 à Barcelone avec 900 kg de cocaïne, ndlr), combien d'autres n'ont pas été détectés'" s'interroge le juge Villada.
La drogue est parfois répartie dans des convois de plusieurs dizaines de camions et si un barrage policier se dresse sur leur passage, soit ils le forcent, soit ils rendent la tâche insoluble aux policiers qui ne peuvent inspecter qu'une poignée de véhicules.
Les prisons argentines regorgent de trafiquants de toutes les nationalités. Boliviens, Paraguayens, Colombiens, Croates, Serbes, Bulgares, Américains ou Français ont été interpellés en possession de cocaïne, qui se vend de 5 à 10.000 usd kilo selon la pureté.
"On a besoin de mieux contrôler les frontières, et de moyens pour cela, il faut des hélicoptères et des avions d'interception, des traités avec les pays voisins pour démanteler les réseaux internationaux. Dans la province de Salta, remarque le juge, environ 4.000 Colombiens se sont installés en l'espace de deux ans dans les environs de Salvador Maza (ville frontalière de la Bolivie). Qu'y font-ils'"
Le clergé, des magistrats et l'opposition ont récemment accusé l'Etat de ne pas lutter suffisamment contre les trafiquants.
Autre phénomène nouveau, une guerre des gangs a éclaté. Les règlements de comptes sont fréquents, notamment à Rosario, où sévit une bande nommée Los Monos (les singes). Dans cette agglomération d'un million d'habitants, la maison du gouverneur a été mitraillée, alors qu'il se trouvait à l'intérieur.
En Argentine, les trafiquants de drogue sont organisés en "micro cartels rivaux, ici il n'y a pas de cartels installés comme en Colombie ou au Mexique", selon le juge, qui rêve d'une agence fédérale antidrogue.
"La bataille n'est pas perdue, nous tirons la sonnette d'alarme pour ne pas parvenir à une colombianisation ou mexicanisation" de la situation, assure le magistrat.
Pourtant, selon Cecilia Gonzalez, auteur du livre "Narcosur", les cartels mexicains sont déjà là.